Header Ads

À Paris, le procès révélateur de policiers symptomatiques du mal français




Le procès de quatre policiers d’un commissariat parisien, accusés de violences contre de jeunes Français d’origine étrangère, a valeur d’exemplarité. Vices de forme et formes d’un vice national : la traque de l’Autre sous couvert d’ordre…

Avocat spécialisé dans une défense à la fois lucrative et forcenée des errements de la police française, Jérôme Andrei, dans une Xe Chambre du tribunal correctionnel de Paris prise d’assaut au point que chacun trouve place où il peut en ce mercredi 21 février, galèje d’entrée – comme s’il ne connaissait pas l’existence d’un ouvrage de Sigmund Freud intitulé Le Trait d’esprit et son rapport à l’inconscient : « La presse s’assoit sur le banc des prévenus, c’est original. »

C’est surtout révélateur – ô anticipation désirée ! –, de la part d’un conseil en mission impossible : tirer d'affaire quatre policiers jugés ici pendant deux jours, suite à une plainte collective de dix-huit adolescents du XIIe arrondissement de la capitale pour des violences à répétition.

tés, les trafics, les dégradations et les rodéos de scooter, se plaignait – certains criant même à une sorte de petit remplacement chassant les habitants anciennement implantés.

Ainsi, comprend-on des propos de la magistrate, quelques fonctionnaires se croient investis d'une mission leur conférant une sorte de sentiment d'impunité, dans la mesure où ces « Tigres » altérés de pacification sont encouragés en haut lieu – et le procès reviendra sans doute sur ce haut lieu, qui ne concerne pas uniquement la hiérarchie policière mais aussi et surtout le cerveau reptilien de l'État…

Et c'est là, dès la présentation objective de la présidente, que l'Histoire semble bégayer, avec un « re-jeu », au cœur de Paris, de situations jadis coloniales : provocation du faible au fort puis, de la part de celui-ci, engrenage irrépressible menant à la répression, à l'expulsion, à l'oppression. 

À l'échelle d'un quartier de la capitale, au nom de la lutte contre des nuisances urbaines, s'est instaurée une banalité du mal et de l'injustice policière, chez quelques fonctionnaires campant aujourd'hui dans un déni de lampistes n'ayant rien appris mais tout oublié.

Sur instruction de leur avocat Jérôme Andrei, les quatre prévenus font en effet mine de ne se souvenir de rien. C'est donc qu'il ne s'est rien passé de marquant, martèle la défense, ne voyant pas venir l'effet boomerang : les abus étaient si nombreux que la mémoire a fini par les classer par pertes et profits…

Le tribunal est lui-même une métaphore des rapports de domination, passant par un langage aussi codé que nécrosé – Michel Tubiana, avocat de la Ligue des droits de l'homme, s'avère le seul à oser secouer l'ordre patriarcal de l'idiolecte judiciaire, en s'adressant à Madame la présidente (et non le président), idem pour Madame la procureure.

Le procès se révèle corrida sociale et culturelle. Avec des mots en guise de muleta, de piques ou d'épée. Le processus atteint toute sa violence symbolique lors de l'examen des premières exactions attribuées aux policiers. 

Ceux-ci sont accusés d'avoir, au mépris de toutes les règles, le 5 juillet 2014, arrêté un jeune homme de 17 ans après un incendie de poubelle sur la voie publique – il y était totalement étranger –, avant que de le frapper dans un véhicule puis au sein du commissariat.

Agaçant le tribunal en semblant mener les débats plutôt que de poser des questions, offusquant les principaux avocats de la partie civile – Michel Tubiana, donc, mais surtout Slim Ben Achour et Félix de Belloy qui s'illustrèrent lors de récents procès sur les contrôles au faciès –, Jérôme Andrei, le conseil des quatre policiers, multiplie les humiliations métaphoriques à l'encontre de la victime accusatrice. 

Il lui pose des questions volontairement incompréhensibles pour un bac moins quatre. Se sentant ainsi mortifié, offensé, écrasé par une volée de substantifs, d'épithètes et de verbes insaisissables, le jeune homme se mure dans un silence que Me Andrei voudrait faire passer pour buté, sinon coupable…

Fort de l'avantage qu'il a cru prendre, l'avocat des policiers poursuit son œuvre de déstabilisation d'une façon plus que perverse. Sachant à quel point il est dégradant, pour un jeune homme, d'avoir été rabaissé par des violences sexuelles taboues aux yeux de son milieu, Me Andrei insiste pour savoir pourquoi la victime a omis de parler, lors de son audition par l'IGPN, de ce qui figure dans la plainte collective : « Les doigts dans les fesses. »

À la barre de la Xe Chambre, le plaignant se montre incapable de prononcer ces cinq mots, qui ajoutent du sel sur ses plaies et que répète à l'envi le conseil des policiers, semblant alors poursuivre par d'autres moyens – la langue française – les sévices auxquels ses clients sont accusés de s'être livrés.

La violence illégale d'une cohorte s'imaginant investie du devoir de rétablir l'ordre par tous les moyens, nonobstant les dérapages possibles et même logiques, nous la touchons du doigt à la fin de cette première journée d'audience. 

Par le truchement d'un des quatre policiers, celui qui apparaît au vu du dossier comme le plus raciste et le plus hanté par l'homosexualité supposée de cette jeunesse obsessionnellement pourchassée sur des critères ethniques – quatre à cinq contrôles d'identité par semaine pour certains. Ce « Tigre », pressé de questions par la partie civile, parle des « indésirables ».

Un tel terme, qui n'a aucune existence légale et qui ne figure pas dans le Code civil, en dit long. Il renvoie aux massacres du général de Saint-Arnaud lors de la conquête de l'Algérie ainsi qu'à la traque de tous les autochtones durant toutes les guerres coloniales – ce passé qui ne passe décidément pas. Il signale, sur le sol français, les « paponades » du 17 octobre 1961

Si bien qu'à la Xe Chambre, mercredi 21 février, un fonctionnaire d'autorité, devenu ou rendu incapable de penser, prend soudain valeur d'exemplarité quand il explique : « Entre nous, sur la radio, nous disons “on va sur des indésirables”. Ce mot désigne les perturbateurs. C'est même un onglet à cocher sur notre logiciel de main courante. »

Comment peut-on en arriver là ? Comment est-il possible de retomber dans cette ornière de l'humanité, avec ces mots finissant par essentialiser, donc réifier, une population issue de l'immigration devenue cible, objet de persécutions ? 

Comment l'État, au nom d'une lutte légitime contre les bandes de quartier, peut-il laisser prendre au pied de la lettre l'expression tête à claques ? Comment la théorie du bouc émissaire a-t-elle pu ainsi prospérer sans entrave, dans la capitale française, au XXIe siècle ? N'y a-t-il aucune pédagogie possible des mécanismes scélérats menant au pire, à partir d'injustices graduellement franchies ?

Ces controverses seront abordées, faut-il espérer, au moment des plaidoiries, après d'autres interrogatoires sur d'autres faits reprochés aux quatre policiers du XIIearrondissement, jeudi 22 février après-midi. 

La présidente du tribunal, ferme et fine mouche, a laissé transparaître sa sensibilité à la question centrale de la discrimination, en soulignant avec le sourire que sur des planches photographiques au dossier, les hommes étaient désignés par des nombres alors que les femmes n'avaient droit qu'à la mention « bis » afférente aux dits nombres.

Voilà un discernement de bon augure sur la différenciation au cœur de ce dossier, qui touche à notre société d'apartheid refusant de se voir comme telle. 

Ce procès se révélera peut-être pied de biche, qui se dit aussi « pince à décoffrer » – de quoi peut-être autoriser une nouvelle saillie à Me Andrei, qui défend avec persistance des policiers coffrant qui de droit…

Or toute la question est dans ce « qui de droit », subliminal et induit de trop haut.

Aucun commentaire

Fourni par Blogger.