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Verbalisation des jeunes habitants : un facteur de fragilisation des foyers modestes

Théophile Barbu, LDH Paris 12e
Membre du Collectif Place aux Jeunes

Le Collectif Place aux Jeunes a été alerté par les difficultés financières que certaines familles du quartier Reuilly-Montgallet-Daumesnil (12ème arrondissement de Paris) rencontrent à la suite de lourdes verbalisations des jeunes membres qui les composent. Le Collectif a pu se procurer une cinquantaine de ces contraventions dont il a fait l’analyse. L’échantillon est loin de représenter l’ensemble des contraventions reçues par les jeunes habitants du quartier, c’est pourquoi ce n’est pas sous l’angle statistique qu’il est intéressant mais plutôt pour les indications qu’il donne de l’engrenage dramatique dans lequel la verbalisation des jeunes habitants peut entraîner certains d’entre eux, et même leur foyer tout entier.

Un montant moyen de 87 € par contravention (hors majoration)

Les 48 contraventions de notre échantillon représentent un montant de 5.237 € dont 3.687 € au titre de la verbalisation initiale. Les contraventions majorées représentent un montant de 1.650 €. Les verbalisations concernent douze jeunes, soit quatre amendes en moyenne par jeune, et sont récentes (2017 et 2018 à l’exception d’une amende fin 2016). Le montant moyen des contraventions ressort à 87 € par contravention non majorée, et 236 € par contravention majorée. Ces sommes sont suffisamment élevées pour que certains jeunes, confrontés à l’impossibilité de les régler, choisissent de repousser la résolution du problème à plus tard, en ne donnant pas suite à l’avis de contravention majorée. Mais la suite arrive tôt ou tard, avec le prélèvement sur le compte bancaire, voire la saisie, avec, également, le risque de ne plus pouvoir poursuivre ses activités (se rendre à son lycée, suivre sa formation en alternance, être présent à son travail ou au petit boulot mené en parallèle des études, etc.). 
Verbalisation des jeunes habitants : un facteur de fragilisation des foyers modestes sur https://echosdu12.blogspot.com/
Illustration d’Anna Lentzner (1)


Le montant cumulé des amendes peut atteindre 1.000 € par jeune, et dépasser 1.800 € par foyer

Le problème devient particulièrement épineux quand le nombre d’amendes est très important, ce qui n’est pas rare, même quand les jeunes ne possèdent aucun véhicule. Un des jeunes habitants de notre échantillon a reçu, principalement au cours de l’année 2017, dix amendes d’un montant total de 1.545 €. Un autre a reçu sept amendes pour un total de 812 €, et son frère, 4 amendes pour un total de 998 € (majorations comprises). On arrive ainsi à un montant total de 1810 € réclamé à un même foyer où il n’y a qu’un seul parent, actuellement sans emploi. L’équation est alors insoluble. Signalons également le cas d’un foyer tout aussi fragile où un adolescent de 15 ans a reçu, au cours du seul mois de juin 2018, huit amendes pour un montant de 478 €, dont cinq le même jour, au même moment. Dans ce foyer de trois enfants, le règlement de cette somme sera pris sur le budget santé, achats de fournitures scolaires, nourriture des enfants (sans parler de leurs rares loisirs).

Un seul événement peut générer cinq contraventions par jeune, et la verbalisation de plusieurs jeunes pour les mêmes motifs

Quelles sont les causes de ces verbalisations ? Le tableau suivant en détaille les principaux motifs.


Principaux motifs de contraventions Nombre de contraventions recensées
Bruit et tapage en journée 3
Bruit et tapage avant 22 h 2
Bruit et tapage après 22 h 3
Dépôt ou abandon d’ordures, de déchets  8
Déversement de liquide insalubre 10
   Sous-total Contraventions non liées à un véhicule 26
Contraventions liées à l’usage d’un véhicule  12

Un sentiment de harcèlement et de découragement face aux verbalisations


Si les contraventions liées à l’usage d’un véhicule concernent 12 cas recensés, elles ne sont pas les plus fréquentes au sein de l’échantillon. Les amendes relatives au « bruit » et « tapage » sont au nombre de huit, dont trois verbalisations de jour ou avant 19 h, cinq avant 22 h. Le motif de « dépôt ou abandon d’ordures, de déchets » concerne également huit situations. Le « déversement de liquide insalubre » est invoqué dans dix cas. Il est fréquent qu’un jeune se fasse verbaliser pour deux voire trois de ces motifs simultanément. Les montants des contraventions se trouvent alors cumulés. De plus, les verbalisations peuvent concerner un groupe de jeunes, chacun recevant une ou plusieurs amendes pour les mêmes motifs. Lors d’un même épisode de verbalisation, les contraventions distribuées pourront alors atteindre des montants très élevés. Par exemple, trois amies qui discutent en bas de chez elles peuvent se retrouver avec, chacune, 204 € d’amendes (avant toute majoration). Un peu chère la soirée à la bonne franquette. 

Des pratiques d’éviction des jeunes de l’espace public, dénoncées par les chercheurs en sociologie


Quand on recoupe ces statistiques avec les témoignages des jeunes habitants, des questions ne manquent pas de se poser. Il peut arriver, nous disent les jeunes, que ces amendes soient distribuées de façon collective, sans que les responsabilités individuelles dans les délits qu’elles sanctionnent aient été prises en compte. Des jeunes nous ont expliqué n’avoir eu parfois aucune responsabilité dans les papiers ou détritus au sol qui avaient été déposés par d’autres ou avant leur arrivée. L’un d’entre eux, sous la menace d’une contravention, a dû ramasser des papiers qu’il n’avait pas jetés. En découle en ces cas un sentiment d’injustice, voire de harcèlement, au minimum d’incompréhension. 



Faut-il chercher l’explication de ces situations dans l’analyse qui a été faite récemment par la sociologue Magda Boutros à partir de témoignages recueillis dans ce même quartier Reuilly-Montgallet-Daumesnil (cf. article : La police et les indésirables, sur le site laviedesidees - URL : http://www.laviedesidees.fr/La-police-et-les-indesirables.html). Magda Boutros observe que, dans un contexte de gentrification (installation de foyers plus aisés) dans ces ilots populaires, les forces de police ont pu être mobilisées aux fins « d’éviction » des « indésirables » se trouvant dans l’espace public. Qui sont ces indésirables ? Les jeunes de ces quartiers populaires, nous explique Magda Boutros, issus pour la plupart de l’immigration, et dont le voisinage insupporte parfois les habitants nouvellement installés. Cet antagonisme n’est pas sans lien avec l’inquiétude, parfois exprimée par les propriétaires d’appartements, quant à l’évolution de la valorisation de leur investissement immobilier dans le quartier. 

Mais l’antagonisme est surtout le symptôme de dysfonctionnements plus profonds dans l’aménagement et les modes de vie de ces quartiers : isolement dramatique des personnes âgées qui, en l’absence de dialogue avec leurs jeunes voisins, s’inquiètent d’autant plus de leur présence dans l’espace public qu’elles les comprennent moins ; manque de logements sociaux qui permettraient aux familles nombreuses de disposer d’appartements plus spacieux, la promiscuité poussant les jeunes hors de chez eux ; désœuvrement de ceux d’entre eux qui sont déscolarisés. 

Les lourdes verbalisations des jeunes, facteur d’aggravation du risque de marginalisation


Ces dysfonctionnements existent, mais il faut bien reconnaître, sur la base des témoignages reçus, qu’une part de racisme ordinaire entre dans la façon dont les jeunes issus de l’immigration subissent une « éviction » de l’espace public où ils ont pourtant, comme tout un chacun, droit de « se poser » pour discuter entre eux et entretenir une nécessaire sociabilité. Le harcèlement via les contraventions entre dans le même processus d’éviction, une forme de violence qui non seulement touche les jeunes mais fragilise l’équilibre des familles tant économiquement que socialement. 



A cet égard, les lourdes verbalisations, dont nous alertent les jeunes, peuvent avoir un effet contre-productif au regard de l’objectif de ces contraventions qui serait de faire « rentrer les jeunes dans le rang ». En effet, en l’absence de toute capacité à payer les amendes, le prélèvement sur le compte, la saisie du véhicule de travail, peuvent pousser certains jeunes vers l’économie parallèle comme recours désespéré. 

Théophile Barbu, LDH Paris 12e 
Membre du Collectif Place aux Jeunes

(1) merci à Anna Lentzner pour son dessin

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